2) LE GUI ET LE RITUEL VÉGÉTAL

Aucun texte liturgique ne nous est parvenu. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque les Celtes n’écrivaient pas leurs textes sacrés. Y en aurait-il eu, les Chrétiens les auraient fait disparaître. Nous pouvons seulement, à travers divers témoignages, reconstituer certains éléments du culte druidique.

Le rituel du gui nous est connu grâce à Pline l’Ancien. « Les druides n’ont rien de plus sacré que le gui et l’arbre qui le porte, supposant toujours que cet arbre est un chêne » (Hist. Nat. XVI, 249). On remarquera que Pline dit expressément qu’ils supposent l’arbre porteur du gui comme un chêne. Ce n’était donc pas forcément un chêne, car le gui ne se trouve que sur certaines espèces limitées de chêne. Cette cueillette s’effectuait « le sixième jour de la lune… parce que la lune a déjà une force considérable sans être encore au milieu de sa course ». Il n’est dit nulle part qu’il s’agissait du solstice d’hiver, comme on voudrait nous le faire croire, par comparaison avec la coutume du gui à Noël, ou au Jour de l’An (qui n’est Jour de l’An que depuis peu de temps). Le texte de Pline mentionne seulement le sixième jour de la lune, mais ne précise pas de quelle époque. Il n’y en a sûrement pas, sinon Pline l’aurait signalée. Pline ne nous dit d’ailleurs nulle part que les druides coupaient le gui avec ses boules, ce qui sous-tendrait du gui d’hiver. C’est un abus d’interprétation que de prétendre que le gui doit être cueilli avec ses boules. Cela signifie donc qu’il pouvait être cueilli toute l’année, à condition que ce fût le huitième jour de la lune. Cela dit, la vieille coutume de l’Aguilanée ou de l’au-gui-l’an-neuf, coutume demeurée très vivace dans toutes les régions, particulièrement en Bretagne, et appuyée sur des chansons populaires, est ou bien moins vieille qu’on le dit, ou bien déplacée de sa date originelle. En effet, autrefois, l’année commençait le 1er avril, tandis que le Nouvel An celtique était la fête de Samain, le 1er novembre.

Tout cela permet d’affirmer de la façon la plus formelle que la cueillette du gui n’a rien à voir avec le solstice d’hiver, ni avec la fête de Noël. Mais elle se déroulait dans des conditions bien précises : le druide coupe lui-même le gui « avec une faucille d’or ». Le gui est recueilli « dans un linge blanc », et le druide est vêtu « d’une robe blanche ». La couleur blanche est la couleur sacerdotale par excellence. Cette cueillette concerne donc au premier chef les druides. L’usage qu’ils feront du gui, c’est un autre problème. La « faucille d’or » fait un peu sourire, car elle est devenue une véritable image d’Épinal. D’ailleurs l’or est beaucoup trop mou pour pouvoir couper quoi que ce soit : il s’agissait sans aucun doute d’une faucille en bronze ou en fer, revêtue d’une pellicule d’or. Mais de toute façon, le symbolisme luni-solaire est apparent : l’or est l’image du soleil, la faucille le croissant de lune. Ce n’est pas un hasard. Et Pline ajoute que cette cueillette du gui était suivie d’un sacrifice de taureaux blancs, très jeunes puisque « leurs cornes sont liées pour la première fois » (XVI, 249). On sait, par ailleurs, que le sacrifice des taureaux est un rite d’intronisation royale. Cela semblerait indiquer que la cueillette du gui n’est pas un rituel isolé, mais qu’il n’est qu’une partie d’un ensemble cérémoniel qui nous reste inconnu. La spécificité de cette coutume a dû faire son succès auprès des Grecs et des Latins, provoquant du même coup sa mise en relief au détriment des autres composantes.

Mais il y a d’autres cueillettes rituelles. Ainsi, pour cueillir « la plante appelée selago, on ne fait pas usage du fer ; on passe la main droite du côté gauche du vêtement, comme pour commettre un vol ; il faut, de plus, être habillé de blanc, avoir les pieds lavés et nus, et avoir fait auparavant une offrande de pain et de vin » (Pline, XXIV, 103). La selago est le lycopode, d’un usage très courant actuellement en homéopathie : et l’on sait que les préparations homéopathiques nécessitent des manipulations délicates, à l’abri de tout contact métallique qui risquerait d’altérer certaines propriétés du produit brut ou élaboré. On comprend ainsi beaucoup mieux la « faucille d’or », l’or étant un métal neutre, voire bienfaisant. Et le rituel est significatif. La droite est le côté de la lumière, la gauche, c’est-à-dire le nord, puisque les Celtes s’orientent face au soleil levant, est le côté mystérieux, le côté de l’ombre. La cueillette de la selago est une prise de possession de forces mystérieuses. Et pour ne pas altérer ces forces, il importe d’être en tenue sacerdotale (le vêtement blanc) et d’avoir un contact total avec la terre par les pieds lavés et nus. Mais, là encore, cette cueillette de la selago n’est qu’une partie d’un rituel plus complexe, puisqu’il y a offrande de pain et de vin. On cueille également le samolus, une plante des marais, dans des conditions précises : « Celui qui la cueille ne doit ni regarder derrière lui ni déposer la plante ailleurs que là où l’on entrepose les boissons », et surtout, il doit opérer « de la main gauche » (Pline, XXIV, 104). Tout cela fait partie d’un rituel de médecine religieuse dont les plantes semblent être la principale composante. Il est bon de se souvenir de la Fontaine de Santé du dieu Diancecht. Et Pline signale encore que les druides utilisent la verveine pour tirer les sorts « en chantant des incantations » (XXV, 106).

On a tendance à parler ici de « magie » végétale[202]. Mais le mot peut prêter à de déplorables confusions. On a méprisé les Gaulois et tourné les druides en ridicule pour moins que cela[203]. Or ces « pratiques » végétales font partie d’un ensemble, et on ne peut pas les isoler de leur contexte mythologique, c’est-à-dire, en dernière analyse, du système philosophique des druides. Répéter que les druides, à l’époque de la conquête, étaient dégénérés, passés au rang de simples sorciers de village, c’est d’une part ignorer que la médecine populaire existe et qu’elle fait souvent ses preuves, malgré les dénégations ironiques de la Faculté[204], d’autre part ne rien avoir compris au druidisme qui, étant une religion sociale, touche obligatoirement à tous les aspects de la vie, médecine comprise bien entendu, mais aussi magie au sens le plus noble du terme.

Ce n’est pas pour rien que le nemeton se trouve en pleine nature, souvent au milieu d’une forêt. La relation du druide avec le bois est évidente, le nom des druides (dru-wides) et le nom du bois (vidu) sont liés. La connaissance et le bois sont symboliquement mis en parallèle. Mais peut-être pas seulement symboliquement : le fait d’écrire, ou plutôt de graver, des incantations rituelles sur des morceaux de bois fait passer le symbole dans le domaine pratique. L’if, le coudrier, le sorbier et le chêne sont des arbres druidiques, utilisés par les druides. L’if, dont les fruits sont du poison, est particulièrement à l’honneur. Les druides et les fili d’Irlande gravent leurs incantations sur une baguette d’if. Le nom Éochaid, qui est le nom royal par excellence, signifie peut-être « qui combat par l’if ». Les peuples gaulois Éburovices (Évreux) et Éburons (Belgique) ont des noms qui contiennent le mot eburo, « if ». Pour les opérations magiques, les druides et les fili se servent de bois de coudrier et de sorbier. Le chêne, « représentation visible de la divinité », selon Maxime de Tyr (Dissertationes, VIII, 8) qui attribue cette croyance aux Celtes, est de toute façon symbole de science et de puissance, et il est le support du gui. Quant au pommier, il est plus que jamais « l’arbre de la science du bien et du mal » : il est l’arbre de l’île d’Avallon ou d’Émain Ablach, et la pomme est le fruit d’immortalité, de connaissance et de sagesse. Quand une messagère de l’Autre-Monde se présente au héros irlandais Bran, fils de Fébal, elle lui présente une branche en disant : « Voici une branche du pommier d’Emain que je t’apporte, pareille aux autres ; des rameaux d’argent blanc sont sur elle, des sourcils de cristal avec des fleurs… »[205]. Lorsque Condla, fils du roi Conn aux Cent Batailles, est invité à partir pour l’Autre-Monde en compagnie d’une ravissante jeune fille, celle-ci lui lance une pomme. Les druides de Conn, par leurs incantations, chassent la créature féerique, mais Condla a gardé la pomme : « Pendant un mois, Condla fut sans consommer de boisson ni de nourriture. Il lui semblait que rien n’était plus digne d’être consommé, excepté sa pomme. La pomme ne diminuait pas, quoi qu’il en consommât, et elle restait entière »[206]. Et la magie de la pomme est telle que lorsque la fée se présente une deuxième fois, plus rien ne peut retenir Condla, qui se précipite dans la barque de cristal que la messagère conduit[207]. Ces pommes merveilleuses d’Émain Ablach, qui sont les mêmes que celles de Morgane à l’île d’Avallon, « ont la couleur de l’or poli et la tête d’un enfant d’un mois n’est pas plus grande que chacune des pommes. Elles ont le goût du miel quand on en consomme ; elles ne laissent ni blessures sanglantes ni maladies à ceux qui en consomment ; elles ne diminuent pas quand on en consomme longtemps et toujours. Celui qui a enlevé une de ces pommes a accompli son meilleur exploit car, après cela, elle lui revient encore »[208]. En tout cas, les pommes d’Avallon sont moins dangereuses que celles du Paradis Terrestre. Non seulement elles procurent l’immortalité, mais elles ne sont pas interdites à ceux qui sont assez audacieux pour aller les cueillir. Encore faut-il savoir le faire, et aussi savoir comment les manger. Ce que visiblement Adam et Ève ne savaient pas.

Ces pratiques végétales sont intéressantes en elles-mêmes, mais elles ne s’expliquent que par référence à un mythe fondamental de la tradition celtique, le combat des Arbres. Le mythe apparaît le plus complet dans le célèbre Cad Goddeu, « Combat des Arbres », poème attribué au barde gallois Taliesin, qui raconte, au milieu de détails obscurs, comment Gwyddyon sauve les Bretons d’un désastre en les transformant en arbres et en les faisant combattre ainsi leurs ennemis[209]. Le thème est repris dans le récit irlandais de La Mort de Cûchulainn, où l’on voit trois sorcières affreuses, les filles de Calatin, susciter « fantasmagoriquement une grande bataille entre deux armées, entre de magnifiques arbres mouvants, de beaux chênes feuillus… »[210]. On retrouve le même détail dans le récit de La Bataille de Mag Tured où deux sorcières disent : « Nous enchanterons les arbres et les pierres, et les mottes de terre, si bien qu’ils deviendront une troupe en armes luttant contre eux et qu’ils les mettront en fuite avec horreur et tourment »[211]. On comprend alors dans quelle tradition Shakespeare a puisé quand il écrivait l’épisode des sorcières et de la forêt qui marche de son Macbeth.

Le mythe a même été historicisé et récupéré par Tite-Live dans son Histoire Romaine, mais sous une forme évidemment rationalisée. Le consul Postumius, avec vingt-cinq mille soldats, s’engage dans une forêt de Cisalpine, en territoire gaulois ennemi : « Comme les Gaulois se trouvaient à l’extrême limite de la forêt et autour de celle-ci, aussitôt que l’armée romaine fut entrée, ils poussèrent les plus éloignés des arbres, qu’ils avaient coupés au pied. Les premiers tombèrent sur les plus proches, et ceux-ci étaient eux-mêmes si instables et si faciles à renverser, tout fut écrasé dans leur chute confuse, hommes, chevaux et armes. Dix hommes à peine purent s’en réchapper » (Tite-Live, XXIII, 24). La forêt en question est nommée Litana par Tite-Live. Or Litana ou Litava sont les noms de l’Armorique (Llydaw) chez les Gallois, mais désignent le plus souvent symboliquement l’Autre-Monde. Nous sommes en plein mythe végétal[212].

Mais le Cad Goddeu de Taliesin, texte vraisemblablement composé de deux ou trois poèmes différents et antérieurs à la rédaction définitive, contient une référence précise à une autre forme de pratique végétale :

 

« Quand je vins à la vie,

mon créateur me forma

par le fruit des fruits…

par les primeroses et les fleurs de la colline,

par les fleurs des arbres et des buissons…

par les fleurs de l’ortie…

J’ai été marqué par Math…

J’ai été marqué par Gwyddyon…

par les savants enfants de Math »[213].

 

Ces détails n’ont rien à voir avec le sujet principal, sinon la référence au végétal, et ils ne sont compréhensibles que grâce à la quatrième branche du Mabinogi gallois. Arianrod, fille de Dôn, n’ayant pas voulu reconnaître le fils qu’elle a eu de façon mystérieuse, en fait incestueuse, et l’ayant frappé d’une malédiction (« n’avoir jamais une femme de la race qui peuple cette terre en ce moment »), son frère Gwyddyon, qui élève l’enfant, va trouver son oncle, le roi-magicien Math. Celui-ci dit : « Cherchons, au moyen de notre magie et de nos charmes à tous les deux, à lui faire sortir une femme des fleurs »[214]. Aussitôt dit, aussitôt fait. « Ils réunirent alors les fleurs du chêne, celles du genêt et de la reine des prés, et, par leurs charmes, ils en formèrent la pucelle la plus belle et la plus parfaite du monde »[215]. Ainsi naît Blodeuwedd, la « fille-fleur », dont la destinée finira tragiquement : pour la punir de son adultère et de son crime, Gwyddyon la transformera en hibou[216]. Il est vrai que Gwyddyon n’en était pas à son coup d’essai. Un autre poème de Taliesin affirme en effet :

 

« Le plus habile homme dont j’ai entendu parler,

ce fut Gwyddyon, fils de Dôn, aux forces terribles,

qui tira par magie une femme des fleurs…

Du sol de la cour,

avec des chaînes courbées et tressées,

il forma des coursiers

et des selles remarquables »[217].

 

Là encore, l’explication se trouve dans la quatrième branche du Mabinogi. Voulant s’emparer des cochons de Pryderi, qui sont les équivalents des porcs de Mananann, Gwyddyon se propose de les échanger en donnant à Pryderi des cadeaux somptueux. Il ne s’embarrasse pas de scrupules : « Il eut recours alors à ses artifices et commença à montrer sa puissance magique. Il fit paraître douze étalons, douze chiens de chasse noirs… douze boucliers dorés. Ces écus, c’étaient des champignons qu’il avait transformés »[218]. On ne peut que penser à Merlin l’Enchanteur, surtout dans les épisodes qui racontent comment il veut séduire la jeune Viviane, faisant apparaître des bâtiments, des vergers merveilleux, des êtres humains, qui ne sont en réalité que des touffes d’herbes et des branchages.

Cela serait donc de la magie. Ou de l’hypnotisme, après tout. Mais cela réfère, répétons-le, à un mythe fondamental dont on retrouve les traces dans toute l’étendue du monde celtique, en Gaule Cisalpine, c’est-à-dire en Italie du nord, en Grande-Bretagne et en Irlande. Et ne parlons pas des contes populaires qui répètent des versions altérées du thème. La « fabrication » de Blodeuwedd, le « combat des Arbres », la médecine végétale druidique, le soin que les druides apportent à la cueillette de certaines plantes, le rapport certain entre le « bois » et la « connaissance », la familiarité du druidisme avec la nature végétale, la « magie » végétale, tout cela ne peut pas être le résultat de superstitions imbéciles. Il faut bien qu’il y ait quelque chose à la base.

Le philosophe Rudolf Steiner écrivait en 1918 : « À l’époque de l’Atlantide, les plantes n’étaient pas seulement cultivées pour être utilisées comme nourriture, mais aussi pour faire servir l’énergie qui sommeillait en elles, aux transports et à l’industrie. Ainsi les Atlantes possédaient des installations qui transformaient l’énergie nucléaire recelée par les semences végétales en énergie techniquement utilisable. C’est ainsi qu’étaient propulsés à faible altitude les véhicules volants des Atlantes »[219]. Passons sur le délire. Steiner avait la réputation d’un visionnaire, cela n’excuse pas tout. C’est se moquer du monde d’affirmer que les Atlantes, dont l’existence n’a jamais été prouvée réellement, aient eu des machines volantes, et cela 80 000 ans avant notre ère. Steiner s’y trouvait sans doute, dans cette fabuleuse Atlantide, en tant que journaliste peut-être. Que ne nous a-t-il pas ramené des photographies en couleurs ! Il est vrai qu’il croyait à la réincarnation. Notons quand même que Platon, qui est le premier auteur en date à avoir parlé de l’Atlantide, situe la civilisation atlante 9 000 ans avant Solon, c’est-à-dire 11 500 ans avant Rudolf Steiner. Mais, au-delà de cette science-fiction pour débiles mentaux, le texte de Steiner nous oblige à réfléchir.

Remarquons d’abord qu’il n’était pas courant, en 1918, de parler d’énergie nucléaire. Ensuite, il faut signaler que Rudolf Steiner, tout imprégné de Gœthe, notamment du Gœthe philosophe que les Français ne connaissent guère, s’est longuement intéressé aux problèmes des végétaux, et de l’agriculture en particulier. Il a publié en 1897 un traité sur la Métamorphose des Plantes[220], et beaucoup plus tard, une sorte de « cours aux agriculteurs » : Fondements de la méthode biodynamique[221]. Or la « biodynamie » est une méthode de culture qui, à l’exclusion de tout apport d’engrais, d’amendements ou d’insecticides, prétend revivifier le sol et améliorer les espèces végétales en cycle fermé : c’est-à-dire en utilisant l’énergie contenue dans les plantes elles-mêmes, le tout étant de savoir comment ne pas perdre cette énergie et comment la faire surgir au moment opportun. De nombreuses recherches pratiques sont effectuées depuis lors, en Suisse, en Allemagne, en Belgique et en France, et il semble qu’elles aient donné des résultats positifs[222].

Le principe de la « biodynamie » n’est pas récent. L’Alchimie traditionnelle ne s’est pas seulement intéressée au règne minéral : il est question d’une pierre végétale parallèle à la pierre minérale. Et pour fabriquer cette pierre végétale, il est nécessaire de concentrer l’énergie vitale des plantes, de la débarrasser de la gangue qui l’empêche d’être active, en un mot de lever les enchantements maléfiques qui semblent peser sur la végétation comme sur le règne animal. Le but est de libérer l’énergie contenue dans le végétal, et qui est endormie, donc invisible et insoupçonnable au premier degré. C’est ce qu’on a fait dans le domaine du minéral pour l’énergie nucléaire, mais il est peut-être plus difficile de s’attaquer à la matière vivante. Mais ce n’est pas une utopie. Ce n’est même pas un rêve. Ce sont de quotidiennes expériences de laboratoire dans la plupart des pays dits développés. Il n’y a là rien qui soit anti-scientifique. Rudolf Steiner a eu conscience de cela, c’est incontestable.

Et si nous reprenons l’exemple celtique, nous pouvons en arriver à d’étranges conclusions. Les arbres qui marchent et qui combattent, n’est-ce pas la représentation symbolique, imagée, de l’utilisation de l’énergie végétale ? La naissance de Blodeuwedd, fabriquée à partir des plantes, n’est-ce pas la représentation de l’utilisation d’une énergie contenue dans le végétal, capable, une fois surgie, de donner naissance à un autre être ? Après tout, nous sommes ce que nous mangeons, et nous ne vivons que parce que nous empruntons au végétal (et à l’animal) ses forces vitales par l’ingestion et la digestion. Pourquoi n’y aurait-il pas des méthodes autres que le phénomène de la digestion ?

La question est posée. La réponse pourrait peut-être nous expliquer certaines guérisons miraculeuses, certains phénomènes classées comme surnaturels ou magiques. La tradition alchimique prétend que la Pierre Philosophale, qui ne sert que très accessoirement à faire de l’or, contrairement à l’opinion courante, est une panacée universelle. Or, cette panacée universelle existe dans la tradition druidique ; au témoignage de Pline l’Ancien lui-même, c’est le gui.

Pline dit en effet : « Les Gaulois croient que le gui, pris en boisson, donne la fécondité aux animaux stériles et constitue un remède contre tous les poisons » (XVI, 249). Nous ne connaissons pas le nom gaulois du gui, mais en irlandais, le mot est uileiceadh, c’est-à-dire littéralement « guérit tout », « panacée », et le mot gallois oll-iach, qui est très proche, a exactement le même sens. Le terme breton-armoricain est uhelvarr (haute branche), mais au XVIIIe siècle, en dialecte vannetais, on utilisait la périphrase deur derhue, c’est-à-dire « eau de chêne », appellation qui amène certains commentaires.

Le gui est en effet un végétal extraordinaire. C’est un parasite. C’est en quelque sorte une plante-vampire qui se nourrit du sang des autres. En vérité, il survit en buvant la sève de l’arbre : il est réellement une « eau de chêne ». De plus, nous savons que le gui est l’une des plus anciennes plantes de notre planète, peut-être l’une des premières à avoir fait son apparition, et en tout cas, qu’elle est une rescapée d’une lointaine époque où les conditions de vie n’étaient pas semblables aux nôtres. Il faudrait en conclure que le gui a survécu à différentes phases de l’évolution et qu’il s’est adapté aux circonstances nouvelles : c’était une question de vie ou de mort. Ne pouvant puiser son énergie vitale dans la terre, comme les autres plantes, il s’est fixé sur des végétaux dont il fait sienne l’énergie vitale. En ce sens, le gui libère l’énergie du chêne (ou de tout autre arbre) et l’utilise. N’est-ce pas là le meilleur exemple qui soit pour illustrer la théorie de l’énergie végétale ?

Ces remarques ne visent pas à affirmer que les druides possédaient le secret pour libérer l’énergie vitale des végétaux et s’en servir pour faire fonctionner des machines. Si tel était le cas, cela se saurait, les Celtes n’étant pas tellement éloignés de nous, et les Romains, fort pragmatiques et toujours prêts à s’emparer des inventions des autres, ne se seraient pas fait faute d’en tirer profit. Mais il est tout à fait vraisemblable, et même probable, que les druides connaissaient ce principe de l’énergie végétale et qu’ils l’appliquaient à certaines plantes, dont le gui, pour des buts thérapeutiques – ou même magiques. Quant à savoir quelles méthodes ils employaient, c’est autre chose. Nous ignorons tout. Mais ce qui est intéressant dans le cadre d’une étude globale du druidisme, c’est de voir qu’un mythe comme celui de la dynamique végétale (combat des Arbres, naissance végétale, médecine végétale universelle) existait dans la tradition celtique. Car un mythe, quel qu’il soit, sous-tend une réalité, même la plus irrationnelle en apparence.

C’est dire l’importance du rituel du gui. Le chêne représentant la force divine, l’énergie cosmique, même quand il est remplacé symboliquement par un autre arbre, le gui, eau de chêne, est l’essence même de la divinité. Le soin avec lequel on cueille le gui, et ce qu’on en fait ensuite, cette sorte de « potion magique », cela indique une recherche constante, de la part des druides, d’un contact avec les puissances supérieures, contact qui se traduit par une assimilation, une véritable digestion de ces puissances. Il s’agit bel et bien d’intégrer la divinité dans l’humain, et en définitive d’incarner le dieu.